<h1>Noelfic</h1>

Six semaines en Allemagne | Réécriture |


Par : Non-Lus

Genre : Réaliste

Status : C'est compliqué

Note :


Chapitre 4

Fragments silencieux

Publié le 03/02/15 à 13:57:06 par Non-Lus

Je m’envolais parfois dans le souffle de mes pensées, me demandant à quoi pouvait bien ressembler le silence. Un vaisseau ? Discret sans doute, naviguant au-dessus de nuages opaques, avec une coque robuste pouvant encaisser le fracas des jugements incessants. Je me voyais alors à sa barre, invincible, maîtriser l’océan étoilé. Mais… Au retour de cet infâme entretien, plus rien ne semblait comme avant. Sous les torpilles de regards menaçants, le vaisseau vacilla. Au gré de la tension palpable, j’entendis son fuselage se morceler dans la pénombre du ciel et, dans sa chute, se laissa transpercer par les cris de ma mère désemparée.

— Florian… Que va-t-on faire de toi ? Tu ne peux quand même pas te laisser déscolariser. Tu as des capacités BON SANG !!

Avec lui, s’écrasèrent mes pensées sur le parquet poussiéreux de notre salon. Un crash violent, qui me soumit à la dure réalité. Voulait-elle réellement que je lui manifeste le brouillard dans lequel j’étais perdu ?

— MAIS TU VAS REPONDRE BORDEL !!!?

« Je ne sais pas », lançai-je à demi-mot. Ma mère haussa les sourcils, étonnée de n’entendre que ça. Je percevais, dans son expression, l’envie de crier encore plus fort, puis l’hésitation de ses capacités à le faire vraiment. C’était sans relâche, qu’elle tentait de déceler l’indice d’une réponse ; quelques bribes qui – je le voyais – semblaient être précieuses à ses yeux.

— Je te sens démotivé.

Bonne remarque. Mais... C’était plus profond que cela. Fallait-il définir les interrogations sans réponse ? Les douleurs sans visage ? Cette impression, constante, d’être l’étrange étranger !? Je me sentais enseveli sous les débris de ce vaisseau déchu, sans moyens de m’en sortir, à la merci de mon propre mutisme.

— Tu ne pourras pas t’en sortir comme ça Florian ! Crois-moi !! JE VAIS…

De vieux sons polyphoniques se mirent à annexer la pièce, coupant cours à notre conversation. J’observai ma mère tourbillonner frénétiquement, à la recherche de son téléphone. L’opportunité sacrée pour prendre la fuite, en espérant ne jamais avoir à répondre à ce genre de question. Dans mon évasion, J’entendis, au loin, l’échange téléphonique qui débutait alors.

— Allo ? Oui, écoute je ne peux pas… Oui c’est lui… Oui encore… Je ne sais pas… Non… Il… Oui… Oui…

Je refermai la porte à clé et m’avançai lentement vers la fenêtre, profitant des quelques débris de silence qui gisaient là. J’y scrutai attentivement le ciel ; tableau sombre emplit d’énigmes, se laissant bercer par les quelques astres encore perceptibles. Mes doigts glissèrent délicatement sur le verre froid. Puis, d’un soupir, je laissai échapper une buée discrète. Je me retournai ensuite et fis face au miroir. Le reflet de mon ombre jouait avec les quelques étoiles qui avaient réussi à s’y incruster. Et si, de moi, il ne restait que ça ? La solitude avait ce je-ne-sais-quoi de si effrayant, que je ne pouvais l’envisager un seul instant. Mais qu’adviendrait-il ? « Rassure-toi Florian, ça n’arrivera pas », pensai-je. Peut-être l’affirmation la plus erronée de mes seize premières années...

Les jours défilèrent sur le flot routinier d’une vie devenue sans saveurs. Un portable qui ne sonnait plus. Le désarroi croissant de ma famille. L’absence généralisée de tout ce dont je croyais pouvoir compter. Seul spectateur de ma propre noyade, dans les courants incertains de ma détresse. J’étais devenu l’adolescent à problèmes, le plus perdu « des perdus ». Et me voilà enfin, à saisir vraiment la portée réelle de toute ma solitude ; victime de longue durée d’amitiés conceptuelles. Puis, dans l’abandon solidaire, je me laissai sombrer. Le silence, ultime compagnon, se posa délicatement sur ma peau. Il m’enveloppa de tout son être et laissa son souffle glacé figer mon âme. Le temps ne s’arrêtera jamais. J’en frissonnai. Des larmes tièdes coulèrent alors sur mes joues avant de s’abattre sur le parquet de la chambre. Vous aviez gagné… J’abonnai.

Des parois oppressantes. L’obscurité. Une sensation de froid. Je me relevai douloureusement de ma chute. Encore ce cauchemar. Je restai là, accroupi contre l’une des parois. Autour de moi, un terrain parfaitement trapézoïdal dont le sol était camouflé par un épais brouillard. Je voyais les murs latéraux se rejoindre vers une surface plane, juste en face de moi. Sur celle-ci, un écran de télévision, incrusté mystérieusement. Intrigué, je décidai de m’y approcher. La luminosité du poste m’agressa les yeux et je peinai d’abord à entrevoir le moindre contenu. Je fus stupéfait. Je me voyais prendre le bus, en cours devant les professeurs du lycée, parler avec des élèves. Je pouvais tout voir. Tout entendre. Comme si une équipe de télévision invisible m’avait suivi depuis toujours. J’y approchai lentement ma main et laissai mes doigts frôler le verre du grand écran. Soudain, une voix s’éleva dans la pénombre et me fit sursauter.
— Tu ne devrais pas y toucher, c’est la seule source de lumière d’ici !!!

Je me retournai subitement pour découvrir son auteur. Un adolescent, dont les cheveux longs masquaient habilement ses yeux. Mon ombre se projeta sur le reste de son visage, m’empêchant d’en voir plus si ce n’est son sourire prétentieux. Il se tenait droit, face à moi. Ses bras longeaient son corps immobile. Il était là, sorti de nulle part et attendait visiblement que je réagisse à sa remarque. Face à mon mutisme, il se mit à regarder ses mains avant de reprendre la parole.

— Je ne pensais pas que tu étais capable de me faire apparaître…

Celui-ci se mit sur le côté et s’approcha de moi, me permettant de le découvrir complètement. Je me laissai alors tomber sur le sol à nouveau, en poussant un cri, affolé. « Cet adolescent…il…il a mon propre visage ! », me dis-je.

— Alors, je te fais les présentations Florian. Moi, c’est Florian. Génial non ?

Face à mon étonnement, l’adolescent prit un air blasé, comme agacé de devoir m’en expliquer d’avantage.

— Bon on va dire que tu as compris qui j’étais, oui ? Aller, oui. Où sommes-nous d’après toi ? Parce que perso’ j’en ai aucune idée !

Je restai silencieux.

— C’est marrant qu’on puisse se voir dans le vrai monde par l’écran ! T’as vu ? On a pas l’air bien… regarde ! On pleure !!

J’observai mon double étrange avec attention. Que voulait-il dire par « tu m’as enfin fait apparaître » ?

— Sérieusement !? Regarde ! Putain qu’est-ce qu’on est ridicule…

Comment pouvait-il me trouver ridicule !? Comment osait-il, je dus me défendre.

— Il est pas ridicule ! Ce n’est pas de sa faute ce qu’il lui arrive !!
— Ahah ! C’est marrant.
— Il y a rien de drôle.
— N’aimerais-tu pas être dans le VRAI monde Flo’ ? Je peux t’appeler Flo’ ? On va dire que oui.
— Je…

Du sol, jaillirent, soudainement, des chaînes métalliques. Elles s’enroulèrent férocement autour de nos poignets. Nous essayions de nous en échapper, mais elles nous retenaient fermement, au fond de ce gouffre. Lui et moi, nous regardions alors pendant quelques secondes, laissant le silence audiovisuel du vrai monde s’installer entre nous deux.

— Pas la peine de répondre Flo’, je crois qu’y aller, c’est mort là. De toute façon, regarde, on est en train de dormir…


De longs mois s’écoulèrent sans que rien ne se passe. Les rayons de l’astre flamboyant, ranimaient chaque matin le fantôme que j’étais devenu. Une âme blasée, se contentant d’errer entre l’ordinateur et le lit de sa chambre. Il m’arrivait parfois d’apparaître temporairement dans la cuisine de notre appartement. Ma mère profitait alors de l’occasion pour m’assaillir de questions étranges. Sans grandes convictions, je hochais la tête et disparaissais. Je n’écoutais plus personne, car je ne savais plus comment communiquer. En fait, je ne l’avais jamais su.

— Alors tu vois Florian, il y a le père qui est journaliste. La mère fait rien comme j’ai compris et la fille est un peu plus vieille que toi, elle fait des études de … heu… Attends je t’avais dit hier tu te souviens ? Florian ? FLORIAN !? F L O R I AN !!?
— Mhhh
— Tu m’écoutes au moins !?
— Mhhh
— Médecine ? Je crois qu’elle fait médecine… Ce serait un bon choix je pense.
— Mhhh

Le reflet de mes fenêtres s’allongeait tendrement sur le plafond de ma chambre. Ses couleurs jaunies m’indiquaient que les lampadaires étaient allumés et qu’il faisait sûrement nuit. J’entendais la musique funky des voitures de fêtards qui passaient au loin. Ils avaient l’air de s’amuser. Et je m’endormis à nouveau.

— Alors Florian, tu as choisi ?

Je vous parlais de questions étranges, celle-ci revenait souvent. J’imaginais toujours qu’elle me parlait d’établissements spécialisés. Je trouvais la question cynique et je ne répondais jamais. Et ce matin-là, ma mère décida de me réveiller en hurlant la question. Je me levai alors en sursaut, laissant quelques rayons mal intentionnés me brûler les yeux, avant d’hurler à mon tour :

— Je choisirai RIEN DU TOUT. Laisse-moi tranquille maintenant !!
— Pas de problèmes Florian, la décision c’est moi qui vais la prendre et si tu le prends comme ça…
— PART !

Je trouvais ça étrange qu’elle me demande constamment de choisir. Cela m’énervait tellement. J’avais l’impression de faire fausse route depuis le début et devoir laisser les gens décider à ma place me faisait grincer des dents. Peut-être aurais-je dû l’écouter d’avantage quand elle me racontait ses bêtises. Peut-être n’aurais-je pas dû hocher la tête à chaque fois. Avais-je accepté des choses que je n’aurais pas dues ?

— Tu n’as toujours pas choisi Florian.
— Tu fais des affirmations maintenant, c’est bien maman tu t’améliores.

Ma mère s’en alla aussitôt, sans rien dire, vers le salon. Cela ne lui ressemblait pas de ne pas être combative et déterminée quand il s’agissait de me faire la morale. Intrigué, je sautai du lit et couru à toute vitesse pour la rattraper.

— Pourquoi t’es partie !?
— Tu devrais faire tes valises Florian.

Cette phrase s’écrasa sur mon visage, comme une claque violente. Nous y étions. Ma mère avait fait son choix. Elle avait contacté un établissement pour « jeune en difficulté ». Je n’arrivai pas à y croire. Comment pouvait-elle faire cela. En allant dans ce genre d’endroit, j’allais être catégorisé à vie. Et puis, ça faisait des semaines qu’elle sanglotait, me répétant qu’elle ne pouvait pas se permettre de m’envoyer là-bas. Je ne comprenais pas. On me punissait encore une fois pour ma différence. Et à nouveau, me voilà imposé la sentence des autres sur ma destinée. Je serrai les poings de toutes mes forces. Je sentis une nouvelle haine traversée l’entier de mon corps et, sans que je puisse le contrôler, une protestation glissa de mes lèvres :

— J’irais pas dans une école pour les débiles, c’est hors de question !!


Ma mère sourit, sans rien dire, comme si elle appréciait saisir cet instant ; quelques fragments silencieux, s’écoulant sur le fils du temps. Cela me mit hors de moi.

— Parle bon sang !!
— C’est agaçant quand on ne répond pas n’est-ce pas mon fils ?

Je tournai les talons pour rejoindre ma chambre, considérant que la conversation était terminée. Mais à peine avais-je commencé à m’en aller que ma mère annonça calmement.

— Réfléchis bien pour ta valise. On part demain matin et nous n’aurons pas l’occasion de te visiter là où tu vas.

Je m’arrêtai soudainement. « Tu vas m’envoyer à l’autre bout du pays ? » Lui dis-je sèchement. Ma mère se mit à sourire à nouveau et profita encore de laisser le silence s’installer entre nous deux.

— Décidément, tu ne m’as vraiment pas écouté.

Je restai là, dubitatif, devant elle prenant un malin plaisir à ne pas m’annoncer tout de suite l’objet de ses plans.

— Tu as raison sur le fait que l’établissement spécialisé n’est pas une bonne option.
— Alors ?
— Tu vas apprendre une autre langue.

Je soupirai de lassitude. « I can speak english, thank you » lui lançai-je avec dédain. Je repartais d’un pas décidé vers ma chambre avant que ma mère reprenne la parole.

— Und Deutsch ?

Ces mots effroyables. C’était de l’allemand. Non. Je n’y croyais pas. Elle connaissait ma répugnance pour cette langue. C’était incompréhensible ! Je me retournai en lui lançant un regard noir. Mais, elle, se contenta de sourire encore, avant d’achever la conversation.

— Nous partons demain. Tu verras, elles vont te faire du bien.
— Qui ?
— Tes six semaines en Allemagne.


Et dans la pièce, nous n’entendîmes plus que le claquement fracassant de la porte.

Commentaires

Vous devez être connecté pour poster un commentaire